Por Iván Herrera Michel
(Extrait du
Bulletin du CLIPSAS n ° 2, Pag. 21 – 26, édité à Bruxelles, Belgique, mars
1992)
La Rosace de la Cathédrale de Strasbourg |
L'euphorie des francs-maçons réunis a
Strasbourg, en cette fin de janvier 61, est partagée, il faut le dire, par
toute l'Europe continentale de l’ouest. Sur le forum, tous les esprits sont
attentifs au projet de construction européenne dont vont débattre dans quelques
jours (le 10 février 1961), a París, Charles de Gaulle, Konrad Adenauer,
Amintore Fanfani, Gaston Eyskens, Joseph Luns et Pierre Werner. Mieux: le
premier ministre britannique Harold Macmillan est attendu dans six jours (le
28) a Rambouillet afin de négocier avec de Gaulle l'association de son pays a
une confédération. Dans la maçonnerie européenne, le rapprochement aussi est
inscrit dans les étoiles. Pour I'instant, les fils de la lumiere sont en avance:
la Suisse et l'Autriche sont déjá au sein de l'Union de Strasbourg.
Nul n'a l'illusion que ce sera facile. Peu de
corps maçonniques importants sont représentés. Plusieurs obédiences sont
minoritaires dans leur pays. On est en droit d’élever des doutes quant al’engagement
italien. ¡N’importe! L’esprit de construction est la. Et une langue malicieuse
peut faire remarquer: "A pres tout, Inigo de Loyola et ses ·compagnons n’étaient
que huit en 1534 a Montmartre lorsqu'ils se sont lancés dans l'aventure
jésuitique". Plus sérieusement: en bonne franc-maçonne, l'Union de
Strasbourg va connaitre son apprentissage dans les années soixante et son
compagnonnage dans les années septante pour atteindre la maitrise dans la
décennie quatre-vingts.
¿Le climat de construction européenne du
début 61 en est-il la cause? S’adressant a la maçonnerie universelle, les peres
fondateurs de Strasbourg envisagent en réalité une organisation européenne.
Aleur grande surprise, [eur appel, largement diffusé, rencontre un écho au-dela
des océans, Les lettres d'adhésion affluent. Du Proche-Orient: Grande Loge du
Liban. D’Amérique du sud: Grande Loge d'Uruguay, Grande Loge de l'Etat de Para
(Brésil) qui couvre les deux rives del’Amazone et dont la capitale est le port
de Belém. Du Mexique: Grande Loge unie (Vera Cruz). Des Etats Unis: Prince Hall
G.L.Michigan, G.L.Mexico-Texana (San Antonio, Texas), G.L. de Lengua Española (New
York) ...
¿Que faire? On en discute des le 10 juin 1961
a Bruxelles. Une Union, c’est un contact direct, concret, une connaissance
familiere del’autre, des rencontres régulieres, e’est en quelque sorte le vécu d’une
loge. Voila un premier probleme, Inattendu. Seul, le Francais Joannis Comeloup
avait dessiné des le 4 avril 1960 une architecture de groupes régionaux: Europe,
Amérique latine, Afrique, Proche-Orient.. Mais on n’en est pas la. Une décision
est prise: le príncipe de l’extension est admis.
Taches urgentes, la rédaction de la charte et
de la formule d’obligation de l'apprenti, et la définition de la loge juste et
parfaite Buisque l’Appel de Strasbourg en fait un point capital. La charte est
1’objet d’une longue discussion. M.J. Ravel craint qu’"une charte, si
libérale soit-elle, ne rétablisse une certaine forme de dogmatisme",
Finalement, sur proposition de P.E Chapuis, OIJ. renonce a la charte. On s’en
tiendra au texte del’Appel. Pour l’obligatíon, on renonce aussi a une formule
unique. Selon quelle regle, les membres de l'Union se recevront-ils? A 1’unanimité,
la conférence du 1O juin 1961 vote ce texte suggéré par le Francais Marcel J.
Ravel et le Bel ge Windey et qui, désormais, sera la loi: "Chaque [rére,
membre d’une obédience signaioire de l’Appel de Strasbourg, s’engage a
reconnaüre, en toute circonstance de sa vie, la qualité de [mnc-maçon a iout
membre d'une des auires obédiences signaiaires".
Reste
la loge. La définition "ni limitative ni exhaustive" est adoptée a
Luxembourg le 20 janvier 1962. Dans son point 4, elle spécifie que l’équerre et
le campas sont parmi "les 3 grandes lumieres". Autrement dit, les
loges sont libres de placer, comme lumiere, un livre sacré ou n'importe quel
autre symbole.
Le fond est réglé. Il est temps de se doter
d'une organisation, méme légere, Rompant avec la coutume des titres
mirobolants, les délégués manifestent leur volonté de ne pas devenir une
super-obédience. 11 désirent étre modestement un centre de liaison et d'information.
Trop banal. Pour identifier l'Union, on utilisera le sígle de son titre
complet: Centre de liaison et d'iniormation des puíssances maçonniques
signaiaires de l'Appel de Strasbourg. Un sigle énigmatique qui claque comme un
mot barbare: le Clipsas.
Le 17 novembre 1962, a París, dans le vieil
Hotel du prince Murat, un reglement est adopté. Il institue un bureau. Sa tache
achevée, le pere fondateur Georges Beemaerts est passé a l'orient éternel en
1961. Le nouveau président est Charles Castel. Lui succéderont Walter Heinz
(1964), Paul Van Hercke (1965), Robert Dille (1966), Víctor Martiny (1969),
taus du G.O. de Belgique. La cheville ouvriere est, a partir de septembre 1966
et pendant quinze ans, Jules Ligot.
Objectifs définis et structure établie, le
Clipsas peut vivre. Chaque assernblée toume, de pays en pays. Cha que
délégation expose la situa tion dans son pays. On examine les demandes
d'adhésion. En fait, le Clipsas n'a encore réglé aucun probleme.
¿Quelle extériorisation? Le bureau prévoit une conférence de presse
en février 1964 oü l'on développera cinq points: libertés de conscience, d’expression,
d’information, neutralité philosophique del’enseignement, respect de l'individu.
En trois pages argurnentées, la Grande Loge Nationale Francaise (Ópéra), membre
fondateur, notifie son opposition a toute extériorisation: "Refus de
principe ... Pas de polémique avec le monde profane ... Les cinqpoints
relevent, a des degrés divers, de questions poli tiques" Si le bureau
passe outre, elle se retirera de l'Union. On discute a Bruxelles le 29 février
1964. En vain.
La mixité. Curieusement, la question sera posée par l’Affaire italienne. Le Grand
Maitre Ceccherini (G.L.N. Italienne) s’était fait excuser a Strasbourg. En
1962, pratiquant avant la lettre un "compromis historique", la G.L.N.I.
fusionne avec le Grand Orient D'Italie pour former la Massoneria Unificata D'Italia.
Le 17 novembre 1962, a l'assemblée de París, tout le monde se réjouit. Et s’interroge:
pourquoi diable la nouvelle obédience a-t-elle célébré sa naissance, par
l'initiation de Mgr J.M. Van Assendelft, patriarche de l'Eglise Apostolique Primitive
D’Antioche, orthodoxe et syro-byzantine?
Deuxieme interrogation: le représentant de la
Massoneria, Gnevtos, "Délégué Magistral" (du Grand Maitre), ne peut
engager sa signature pour l’Appel de Strasbourg. Il est done invité a ne pas
prendre part aux votes. L’affaire se complique tres vite. La Massoneria ne vit
que l’espace d'un matin et se brise en 1963. Non seulement le Grand Orient D'Italie
rentre dans ses foyers, mais l'ancienne G.L.N.I. se scinde entre les amis de
Ceccherini et ceux de Giovanni Gh.inatzi. ¿Qui accepter? Le bureau hésite, ce
19 octobre 1963, lorsqu'on apprend que les deux branches sont androgynes.
"C’est contraire á l’espritdu Clipsas". Et le bureau décidede
suspendre toute correspondance avec Rome. On procédera a une enquéte.
Un an passe. Le Général d’aviation Ghinazzi,
visage a la Clark Cable, parole chantante et geste affable, est un homme d’action.
Il est partout. II initie la reine mere de [ordanie qu'il éleve au titre de
grande maitresse d'honneur. Inévitablement, il rencontre sur son chemin le G.O.
de France et se lie avec lui. Mais comment le Clipsas peut-il accueillir une
fédération qui accepte les femmes? Le bureau se saisit de la question le 11
septembre 1965. Il ne peut trancher. Il lui Iaudra deux ans pour imaginer un
jugement a la Saloman. Le 14 octobre 1967, la Gran Loggia d'Italia Degli A.L.A.M.
(c'est-á-dire des Anciens Libres Acceptés Maçons), dont les feux furent allumés
en 1909 et dont les freres ont subi la répression fasciste, est admise. A vec
cette réserve: seules les loges masculines sont reconnues.
Prime jeunesse et maladies infantiles: Un président de l'Union, Jaak Nutkewitz,
dira en 1976 que dans ces années soixante - "sa prime jeunesse" - le Clipsas
est "marqué par toutes sortes de vicissitudes, maladies d’enfant,
contrariétés et mérne une certaine hostilité". La principale de ces
maladies infantiles est le tourbillon des adhésions. Elles vont, elles
viennent. Sur les rives du Michigan ou en lisiere de la forét amazonienne, on a
un coup de coeur al’annonce de la nouveau-née et de ses premiers pas. On veut
partager la joie, on envoie son adhésion, mais on est bien loin. Alors, on ne
participe pas, done on ne cotise pas. On oublie de répondre au courrier (qui
est en francais). La G.L. de l'Etat de Para (Belém, Brésil), adrnise en juin
1962, est mise en sommeil le 20 février 1967 comme les Grands Orient et Loge
unis du Cameroun admis, sous réserve, le 6 juillet 1963. (Les GOLUC reviendront
au Clipsas en 1982).
En avril 1969, a Rome, l’assemblée a le
courage de trancher et se sépare du G.O. du Liban, du G.O. Federal de Espana
(toujours au Mexique), de la G.L.U. Mexicaine (Vera Cruz), de Prince Hall
G.L. Michigan et de la G.L. Mexico-Texana.
L'Union, depuis Strasbourg, s'est enrichie,
des le 20 janvier 1962, de la G.L. de Lengua Española (12 loges a New York et
en Floride et une a Los Angeles) et du Grossorient von Deutschland, une minuscule
organisation créée a la fin daoüt 1961 par le Grand Maitre August Klages,
lequel était parmiles 28 de Strasbourg comme Nº 2 de la délégation d’AFAM.
Puis, le 2 avril 1965, de la G.L. de Jordanie dont le roi Hussein est le Grand
Maitre, La G.L.J. prendra la place du G.O. du Liban dans l'ordre protocolaire.
Elle va vite changer son titre en Grand Lodge for Arab Countries.
Mais, a la fin des années soixante, les
membres du Clipsas ne sont que dix apres avoir été dix-huit (théoriquement) en
1965.
L’Affaire allemande. En Allemagne, la plupart des freres sont
groupés dans la Grossloge A.F.A.M. (dont la traduction est Anciens Francs et
Acceptés Maçons). Dans le climat européen de 1961, l’AFAM a bravé les
Anglo-saxons avec lesquels elle entretient pourtant des rapports quotidiens et farniliers.
Depuis la guerre, des soldats alliés stationnent en République Fédérale et les
freres, nombreux, ont formé des loges militaires regroupées dans l’American
Canadian G.L. (Bad Kissingen) et les British freemasons in Germany (Düsseldorf).
Américains et Anglais (comme les Francais dans leur zone) ont aidé les
Allemands a se reconstituer. Aujourd'hui, ils fraternisent dans les temples. Ensemble,
ils ban quettent dans les a uberges du Rhin. Ensemble, ils fréquen ten t les
concerts de Hambourg. Pourtant, sans une hésitation, l’AFAM a signé l’Appel de
Strasbourg. Jusqu’au 17 novembre 1962, le Grand Maitre est de toutes les
réunions. Ensuite, de 1963 a 1965, il se fait excuser. Pourquoi?
A Londres, l’oecuménisme est a la mode. La personnalité
la plus flamboyante de l'U.G.L.E., l'Archevéque de Canterbury, a fait la une
des journaux en se rendant a Rorne aupres du pape avant l'ouverture, le 8
décembre 1962, du Concile Vatícan II dont l'un des deux themes est "la
préparation de l'unité chrétienne". L'agressivité de l'U.G.L.E. ne cesse
pas: en 1966, elle reconnaitune G.L. de Belgique (scission du G.O.B.). Elle
demande toujours plus a Alpina qu'elle contraint a rompre avec la G.L. de
France. Pour sortir de son isolement, cette derniere a renoué le 15 avril 1964
avec le G.O. de France, puis en 1965 avec le G.0. de Belgique. Une grave hémorragie a sanctionné cette révision déchirante:
pres de 600 freres (sur 8 200), conduits par les "dignitaires" Louis
Doignon et Jean Mons ont obéi aux sirenes anglo-saxonnes de la G.L.N.F. (dite
Bineau ou Boulevard Bineau, du nom de son adresse a Neuilly).
La G.L.N.F. "Bineau" a été mise a
contribution pour- chapitrer et admonester les Allemands quifraternisent avec
les hérétiques du Clipsas. Finalement, le 29 avril 1967, les Allemands de la
Grossloge AFAM avertissent le Clipsas qu'ils sont obligés de prendre leurs
distances. lls assurent qu'ils conserveront une attitude fraternelle avec ses
membres et ils tiendront parole. De son coté, le Grossorient von Deutschland
reste, pour l'instant, fermement arrimé rnais il n'a pas le poids del’AFAM.
Jeunesse Fratemelle-Pont de l'amitié: Il suffit parfois d'une idée, d’une équipe
et d’énormément de dévouement. En avril 1969, a Rome, le Francais Jean
Soulacroix soumet son idée: associer les enfants de Maçons a l’entreprise
Clipsas.
"Permettons a des jeunes qui ne se
connaissent pas - méme pour la plupari dans leur propre pays - d’établír des contacts,
de s’apprécier sí possíble et de devenir des amis par-dessue touies les
frontieres"
Carrure d’athlete, le visage épanoui de
fraternité, Soulacroix, 57 ans, brosse le tableau: des jeunes qui
"s'integrent dans une vie collective", qui "dialoguent",
qui" confrontent leurs idées, leurs opinions souvent différentes",
qui découvrent dans le méme temps une région inconnue d’eux. Inspecteur a la J
eunesse et a ux Sports, il pro pose Vich y. Non pas le Vichy de Napoléon III
avec ses sources et ses pares a l'anglaise, mais celui du plan d’eau del’Allier
et du centre omnisports. C’est-á-dire une vie active et saine.
L'idée est adoptée. Le premier été, ils sont
31 enfants de maçons. Les années passant, ils seront bientót 150 de 14 a 17
ansa découvrir le kayak ou le tir a l’are, les feux de camp ou l’escalade.
Gráce a qes animateurs bénévoles. Ensemble, ils planchent chaque fois sur un su
jet différent, "la recherche d'une juste éducation" ou "un projet
de convention sur les droits del’enfant". Et chaque fois, ils apportent
des idées nouvelles.
Les rencontres d'été des jeunesses fraternelles a Vichy, sous la direction de Jean Soulacroix, demeurent dans la memoire colective l'une des actions les plus emblématiques des esfuerzos entrepris pour réunir ce qui est épars par delà les frontières, dans l'esprit fondateur du CLIPSAS.
Les rencontres d'été des jeunesses fraternelles a Vichy, sous la direction de Jean Soulacroix, demeurent dans la memoire colective l'une des actions les plus emblématiques des esfuerzos entrepris pour réunir ce qui est épars par delà les frontières, dans l'esprit fondateur du CLIPSAS.
De toutes les oeuvres du Clipsas, Vichy est
celle qui a les plus belles couleurs.