jueves, 27 de febrero de 2025

LA FRANC-MACONNERIE EST ELLE « WOKE » ? (Version française)

 
Versión en idioma francés publicado en https://www.gadlu.info/la-franc-maconnerie-est-elle-woke/
                   
Iván Herrera Michel
              
En réalité, on ne peut pas répondre à la question par un simple oui ou par un simple non, car il faut nécessairement partir du principe qu’il existe une vieille histoire d’amour entre la franc-maçonnerie et l’engagement social qui remonte à ses origines au siècle des Lumières. La difficulté surgit lorsque le mot « woke » [1] est utilisé de manière péjorative contre tout type d’initiatives progressistes, générant une charge sémantique ambiguë et un usage polarisé.
                          
En fait, on m’a appris dès le premier jour que l’Ordre œuvre pour la liberté, l’égalité et la fraternité et que, depuis ses débuts, il a été un refuge pour les libres penseurs qui défendaient des idées liées au progrès, à la liberté de pensée, à la liberté de conscience et aux droits de l’homme et du citoyen, entre autres. De son côté, l’Académie royale de la langue espagnole, en réponse à une consultation qui lui a été faite, a répondu le 7 avril 2021 que « en espagnol, avec un sens équivalent à l’anglais ‘woke’, il existe l’adjectif traditionnel ‘ conscient ‘ ».
              
Il est également important de noter que, pour la Franc-Maçonnerie, soutenir des causes fondées sur la recherche de l’égalité, telles que le suffrage universel, l’abolition de l’esclavage, les droits des citoyens et l’éducation pour tous, était la chose la plus « éveillée » qu’elle pouvait faire aux XVIIIe et XIXe siècles et, bien que ce mot n’ait pas été utilisé, l’essence était la même : être conscient des injustices et influencer pour changer les structures et les systèmes de pouvoir réactionnaires, car, en toute honnêteté, le progrès n’a jamais été facultatif pour un Ordre qui se targuait d’apporter sa lumière à l’humanité, et qui ne fronçait pas non plus les sourcils lorsqu’il s’agissait de parler de droits.
             
Cependant, il est également vrai que la franc-maçonnerie a son côté conservateur et anti-woke, qui ne réside pas seulement dans son esthétique, mais aussi dans sa résistance au changement structurel. Nos cérémonies, nos structures administratives de pouvoir, nos symboles et l’usage obligatoire du tablier peuvent paraître quelque peu archaïques à ceux qui ne comprennent pas leur signification profonde, mais nous sommes un Ordre avec trois siècles d’existence, et ce mélange de tradition et de modernité constitue, d’une certaine manière, une double essence.
                   
Dans certaines obédiences, de tous bords, par exemple, les débats sur l’initiation des femmes, des homosexuels et des transsexuels, la reconnaissance maçonnique du mariage égalitaire ou le soutien aux droits LGBTIQ+, ont été tout sauf calmes. À cet égard, il est connu que la Grande Loge Unie d’Angleterre, réputée être la gardienne mondiale du masculinisme suprémaciste, non seulement initie des personnes transsexuelles habillées en femmes, mais participe également activement aux marches de la Gay Pride et soutient leurs revendications à travers son site Web et ses publications officielles. Il est donc légitime de s’interroger sur le paradoxe d’une Franc-Maçonnerie ayant été progressiste dans le passé, mais ayant aujourd’hui des secteurs qui rejettent le progressisme contemporain, ou si elle n’est progressiste que lorsque le changement a été validé par l’histoire, ou si au contraire le progressisme continue d’être un moteur interne.
             
Cependant, en séparant l’art de l’artiste, si l’on entend par « woke » être « éveillé » et « conscient » des injustices et, par conséquent, agir pour les corriger, il n’y aura pas de grande difficulté à admettre la proximité de son concept et de son idéologie avec l’histoire et le texte des rituels dont les francs-maçons sont fiers, en particulier ceux qui ont à voir avec les principes séculiers de l’Ordre, tels que la liberté, l’égalité et la décolonisation de la pensée. Il serait donc faux de nier que la franc-maçonnerie a, historiquement, des étendards égalitaires et inclusifs qui coïncident avec ceux que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « woke ».
             
Mais être franc-maçon ne signifie pas suivre toutes les tendances ni être membre d’une association militante. La franc-maçonnerie implique une attitude proactive dans les luttes sociales, ainsi qu’un espace de réflexion. Leur force a toujours été dans la réflexion lente, le dialogue fraternel et l’engagement personnel, sans se permettre de faire semblant de ne pas voir ce qui se passe en dehors de leurs Loges. La franc-maçonnerie ne s’est pas construite dans le vide, ni dans une bulle. Elle fait partie intégrante du monde dans lequel nous vivons et auquel elle est liée.
                      
Cela dit, la question n’est peut-être pas de savoir si la franc-maçonnerie est « éveillée », mais si nous sommes fidèles à nos principes directeurs et à notre mandat fondateur d’unir ce qui est dispersé. La question n’est pas de savoir si la Franc-Maçonnerie est « éveillée », mais si nous la préférons sans risque, sans débat, sans conséquences, et donc sans collaborer à la construction du Grand Temple de l’Humanité.
              
J’ai lu un jour que « la franc-maçonnerie ne consiste pas à vivre sur les lauriers du passé, mais à construire l’avenir avec les outils d’aujourd’hui. » Être franc-maçon, c’est agir avec conscience, empathie et, surtout, avec un engagement actif, loin de l’élégance discursive incolore de se prétendre progressiste, mais sans exagération, conservateur, mais seulement dans les décorations, libéral, mais pas en tout, et activiste, mais pas trop.
              
Un regard sur la scène internationale montre que, dans certaines Obédiences, les discussions sur les droits et l’égalité ne sont pas des dialogues fraternels dans les Colonnes, mais de féroces batailles dans les tranchées. Le plus grand danger pour une Obédience n’est pas la modernité, mais son incapacité à définir si elle veut être un phare de pensée, un musée de traditions ou un groupe de bons amis.
              
En ce sens, la Franc-Maçonnerie n’est pas, et ne doit pas être, esclave des coutumes actuelles, mais elle ne peut pas non plus se permettre d’être insensible à la correction des injustices héritées et à la lutte contre les injustices de son temps. Un positionnement personnel et collectif qui continue d’être un ciseau et un marteau pour travailler la pierre brute du présent.
               
Et cela, en fin de compte, sera toujours intemporel et sera au-delà de toute étiquette qui pourrait l’exalter ou l’aggraver, même si, si nous utilisons le mot « éveillé » dans son sens originel ( aware , en anglais, et conscient, en portugais) face aux injustices sociales, l’histoire de la franc-maçonnerie comporte de nombreux éléments qui correspondent à cette définition.
                    
Ainsi, lorsqu’on se demande si la franc-maçonnerie est « éveillée », la réponse tombe d’elle-même : la franc-maçonnerie est l’incarnation historique de l’esprit de liberté et d’égalité recherché à l’ère « éveillée ». Ces valeurs constituent une impulsion forte au cœur d’une institution qui cherche à guider l’humanité vers un avenir plus éveillé et conscient.
              
Et cela, à toutes fins utiles, est « éveillé » au sens exact du terme, que nous aimions le mot ou non.
             
Ivan HERRERA MICHEL
                   
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[1] Woke (prononciation anglaise : [‘ wouk ]), en tant que terme politique d’origine afro-américaine, fait référence à une prise de conscience et une sensibilisation aux problèmes liés à la justice sociale et raciale. Le terme dérive de l’expression vernaculaire anglophone afro-américaine « stay woke », dont l’aspect grammatical fait référence à une prise de conscience continue de ces problèmes.
                   
À la fin des années 2010, « woke » a été adopté comme un terme d’argot plus générique, largement associé à la politique identitaire, aux causes socialement libérales, au féminisme, à l’activisme LGBT, à la culture afro-américaine et aux questions culturelles (les termes culture woke et politique woke sont également utilisés ). Ce terme a fait l’objet de mèmes, d’utilisations ironiques et de critiques. Son utilisation généralisée depuis 2014 est le résultat du mouvement Black Lives Matter. (Source : Wikipédia)
                  
                       

                       

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